Mot du président
Sylvain Fortin, B.Sc., D.E.S.S., LL.M.
Prix du Gouverneur général du Canada pour l'entraide 2014
André Malraux, l’un des plus sincères compagnons du général Charles de Gaulle, affirmait que, sans la présence de sa fille Anne, née avec une trisomie‑21, son père, Charles de Gaulle, n’aurait jamais été l’homme qu’il a été. Anne fut, selon lui, la principale source de sa force et de sa résistance.
Les observations allant dans le même sens ont de tous temps été constantes. Récemment, l'historienne française Frédérique Neau‑Dufour écrivait que : «La présence de cette petite fille pas comme les autres pétrit l'âme de Charles de Gaulle. Elle éveille en lui une tendresse hors du commun où se mêlent le sentiment paternel et le sentiment catholique, le souci de protection, et un réflexe de défi.»
Lorsque l’on vit avec une trisomie‑21, on peut donner aux esprits obtus l’impression de n’être pas grand-chose. Ceci dit, il importe de souligner que c’est Anne de Gaulle qui inspira à elle seule l’acquisition de La Boisserie, la célèbre résidence de la famille de Gaulle, située à Colombey-les-deux-Églises. Or ses parents, qui au départ croyaient que l’air frais de la campagne lui ferait le plus grand bien, n’avaient pas envisagé que La Boisserie deviendrait bientôt, à proprement parler, le centre de la France.
Un peu de la même manière, ce n’est pas moi qui suis à l’origine de la Société québécoise de la Trisomie‑21, mais bien mon fils Mathieu qui par le fait même m’a fourni le courage et l’énergie de compléter une maîtrise en droit de la santé à l’Université de Sherbrooke et dont le mémoire de recherche a porté sur la trisomie‑21.
Anne et Mathieu sont des exemples parmi tant d’autres enfants vivant avec une trisomie‑21 qui, à un degré ou à un autre, ont exercé une influence majeure et positive sur les orientations politiques et sociales de leur environnement.
Dans ce contexte, comment donc aborder cette problématique contemporaine qui consiste, pour le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, à mettre en place un programme de dépistage prénatal de la trisomie‑21? La question n’est pas sans importance, puisqu’au premier plan il faut en retenir qu’il s’agit de procéder à l’élimination des enfants qui ne correspondent pas aux attentes de la perfection. Des enfants mal vus, mal sus, mais pourtant bien jugés.
Le ministère de la Santé du Québec est un émouvant protecteur de l’état de santé de la population, mais sa protection, loin de signifier que les personnes vivant avec une trisomie‑21 existent, signifie plutôt que ces personnes cessent d’exister. Nous ressentons que ce n’est point en raison du fait que le Québec est incapable de croire en ces personnes hautement respectables mais en raison de l’impuissance du Québec à croire en quoi que ce soit. Comme si le seul destin envisageable pour les personnes vivant avec une trisomie‑21 était leur propre perte.
Le message transmis par les autorités québécoises serait-il donc, dans ce contexte, qu’il vaut mieux ne pas naître que de vivre avec une trisomie‑21, et qu’en l’absence de personnes à protéger à ce niveau, aucun investissement financier ne serait nécessaire? Notre gouvernement ne contrevient-il pas ici à sa propre Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale ?
Il s’agit là du deuxième tir de barrage du gouvernement du Québec en direction des personnes vivant avec une trisomie‑21. Le premier a retenti en 1988, lorsque le Comité de la protection de la jeunesse du ministère de la Justice a proposé une politique portant sur l’euthanasie passive des enfants atteints du syndrome de Down.
Depuis la proverbiale cause Daigle c. Tremblay, tranchée par la Cour suprême du Canada en 1989, il est reconnu que le fœtus in utero n’a pas droit à la vie. Cette cause a mis un point final au statut juridique du fœtus : puisqu’il n’a pas droit à la vie, il n’est pas considéré comme une personne humaine et, par conséquent, n’est aucunement protégé par les Chartes. Au surplus, en vertu du droit civil du Québec, ce n’est qu’après être né «vivant et viable» que l’enfant acquiert la personnalité juridique.
Les Chartes n’entrent donc en jeu qu’à ce moment précis, bien qu’elles demeurent souvent dans l’ombre, en arrière-plan; ce qui est démontré clairement, à notre avis, par les démarches entourant l’instauration du test de dépistage prénatal de la trisomie‑21. Tôt ou tard, des concitoyens vivant avec une trisomie‑21 comprendront qu’on élimine des enfants avant leur naissance, simplement parce qu’ils sont comme eux. Sur le plan de l’impact psychologique, cela se traduit par un traitement cruel et inusité, ainsi que par une atteinte profonde à la dignité humaine.
Ces personnes qui connaissent la tendresse comme seule façon de vivre, possèdent trois chromosomes 21 plutôt que deux. La trisomie‑21 n’est donc pas une maladie à proprement parler, mais plutôt un état caractérisé par la présence d’un chromosome supplémentaire. Ce chromosome est, à notre avis, celui de l’amour sans lequel il y aurait sans doute moins d’amour sur terre. Les personnes vivant avec une trisomie‑21, parce qu’elles sont nées avec la capacité d’aimer sans réserves ni préjugés, sont donc grandement enrichies par ce que l’on qualifie trop souvent d’handicap et elles jouissent de la liberté intérieure d’être elles-mêmes en plus d’avoir le courage de supporter nos limites personnelles.
Voilà autant de raisons qui nous incitent à prendre parti pour les personnes vivant avec une trisomie‑21 et à «s’engager» dans une autre vision des choses qui nous apparaît possible et à réprouver le conformisme existant à l’égard des personnes qui vivent avec une trisomie‑21, tout cela par le biais de campagnes d’éducation et de sensibilisation et en écho à la Convention relative aux droits des personnes handicapées adoptée le 13 décembre 2006 par l’Organisation des Nations-Unies et signé le 30 mars 2007 puis ratifiée le 11 mars 2010 par le Canada
Dans ses principes généraux, la Convention affirme entre autres, «le respect de la différence et l’acceptation des personnes handicapées comme faisant partie de la diversité humaine et de l’humanité».
À son alinéa 8(2), qui réfère à des mesures de sensibilisation, elle édicte que :
«Dans le cadre des moyens qu’ils retiennent à cette fin, les États Parties :
- lancent et mènent des campagnes efficaces de sensibilisation du public en vue de :
- favoriser une attitude réceptive à l’égard des droits des personnes handicapées;
- promouvoir une perception positive des personnes handicapées et une conscience sociale plus poussée à leur égard.»
Ces illustrations démontrent à quel point la Société québécoise de la Trisomie‑21 a, depuis ses débuts, été animée par un esprit visionnaire. Comme elle ne voyait rien venir en matière de campagnes de sensibilisation à la trisomie‑21, elle les a réalisées elle-même bien avant les premiers balbutiements de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. Or, rien ne peut venir que par soi-même et c’est ainsi que la Société québécoise de la Trisomie‑21 poursuit sa route pavée d’une vision prospective à l’égard des droits et de la dignité des personnes vivant avec une trisomie‑21.
La valeur principale qui fera évoluer la société toute entière est l’amour. C’est ce qu’il y a de plus bâtisseur entre les humains. L’amour inconditionnel dont sont capables, de façon innée, les personnes vivant avec une trisomie‑21, en fait d’admirables bâtisseurs d’une vie meilleure. Sans leur exemple, il est déjà loin cet avenir meilleur. Vitam impendere vero, telle la devise de Jean‑Jacques Rousseau, elles consacrent ainsi leur vie à la vérité.
Nous avons comme responsabilité collective de redoubler d’efforts et de bâtir une société qui fera du Québec non seulement le meilleur endroit au monde pour élever une famille, mais également un havre de paix où vie de famille rime avec satisfaction et épanouissement avec nos enfants vivant avec une trisomie‑21. La mobilisation de nos forces, une volonté de vivre harmonieusement et la solidarité entre nos générations doivent se combiner en un symbole unique si nous souhaitons léguer aux enfants de demain qui vivront avec une trisomie‑21, un environnement humain de qualité.
Après tout, ils ont droit, eux aussi, à leur Te Deum de la victoire.
En terminant, vous aurez sans doute remarqué que le nom de notre site, degaulle-trisomie21.org, réunit deux entités, séparées par un trait d’union. Il s’agit là d’un modeste hommage au général de Gaulle et à son épouse qui ont choisi, de façon avant‑gardiste et en des temps difficiles, de vivre avec leur fille Anne de façon indissociable. Ils ont aimé inconditionnellement cette enfant, que d'autres parents auraient facilement rejetée. Cette qualité «d'être» du couple de Gaulle, à laquelle nous sommes extrêmement sensibles, inspire la Société québécoise de la Trisomie‑21 ainsi que les familles qui la composent.
«La grandeur est un chemin vers quelque chose qu’on ne connaît pas.»
Voilà sans doute ce qui a fait dire au général de Gaulle : «Puisque tout recommence toujours, ce que j’ai fait sera, tôt ou tard, une source d’ardeurs nouvelles après que j’aurai disparu».
Nous vous souhaitons la plus cordiale des bienvenues sur notre site et j’ai personnellement l’honneur et le privilège de partager avec vous les apprentissages que j’ai faits grâce à la présence de mon fils Mathieu vivant avec le chromosome de l’amour.
Sylvain Fortin, B.Sc., D.E.S.S., LL.M.
Président